De l’abbaye de Vaucelles, en passant par l’archéo’site et le village des Rues des Vignes

Aujourd’hui le temps est à la fête. Le soleil convie à sortir de cette léthargie due au confinement et invite à prendre l’air. C’est décidé : je vais faire un tour dans la vallée du Haut-Escaut et, plus précisément, à l’abbaye de Vaucelles, en passant par l’archéo’site, des Rues des Vignes.


Allez, en route !

Dès mon arrivée à Crèvecœur, le paysage devient champêtre. L’Escaut rivière serpente dans la vallée, côtoyant le canal de Saint-Quentin. Celui-ci n’est pas large et monotone, bien au contraire. Inauguré par Napoléon Ier en 1810, il s’est dépoussiéré de son activité charbonnière pour devenir un lieu propice à la promenade et au plaisir de la pêche.


Après une petite côte, la Cavée, j’entre dans la commune de Les Rues des Vignes. 
A l’archéosite, Arnaud et son équipe m’attendent pour me faire vivre une véritable immersion dans le temps, de l’époque gallo-romaine à l’époque carolingienne, soit mille ans d’histoire.


En effet, dans les années 70, plusieurs fouilles ont permis la découverte de 9 caves gallo-romaines et d’une vaste nécropole mérovingienne (347 tombes seront inventoriées). Un important mobilier funéraire comprenant armes, bijoux, poteries et pièces de monnaies sera exhumé pour être exposé au Musée des Beaux-Arts de Cambrai. De ces vestiges naît l‘archéo’site avec notamment la reconstitution d’habitats s’appuyant sur des recherches scientifiques. Depuis 1998, l’archéo’site s’est agrandi et propose des expositions, des ateliers permettant de s’initier aux méthodes de l’archéologie, des animations reprenant les techniques anciennes notamment celle de la forge, de la poterie, du tissage pour n’en citer que quelques-unes.


Après un petit rappel historique s’appuyant sur les panneaux introductifs, pas inutiles pour se repérer dans le temps, je vais explorer les lieux. La vue est saisissante. Sa position dominante permet de contrôler l’Escaut qui coule au fond de la vallée et de surveiller l’ancienne voie romaine que l’on remarque à l’horizon. Celle-ci reliait Bavay à Vermand, près de Saint-Quentin, en passant par Cambrai. Vinchy, ancien nom de la commune (connu pour sa bataille en 717), se trouve alors aux limites territoriales de grandes tribus de la Gaule : les Nerviens, les Véromanduins et les Atrébates. 


Après ce tour d’horizon, je me dirige vers une cave du IIe siècle. Réalisée en pierre calcaire, on remarque à l’intérieur trois niches permettant d’y loger des amphores. A proximité, une officine de potier gallo-romain a été reconstituée à partir des fouilles. Le four en torchis permettait de cuire les poteries pendant 24 heures à une température de 1000°. 


L’endroit est agréable.

Je m’approche d’une grange mérovingienne et découvre les vestiges de la nécropole du VIe et VIIe siècle. Les tombes creusées dans le calcaire sont soigneusement alignées suivant un axe nord-ouest/sud-est. Elles voisinent les fondations d’un grand bâtiment rectangulaire qui pourrait-être une ancienne chapelle d’après les deux poissons gravés dans la pierre près de l’entrée, symbole des premiers chrétiens. 
Un petit village carolingien fait suite. Il est constitué d’une série de maisons en bois et torchis couvertes d’imposants toits de chaume. Des clayonnages en branches les clôturent pour éviter que de gros animaux y pénètrent. Plusieurs types d’habitations sont reconstitués : certaines sont sur pilotis, d’autres servent d’ateliers ou de greniers-caves. Il y fait sombre, le sol est en terre battue, les animaux vivent à proximité des habitants pour apporter leur chaleur. Quel manque de confort par rapport à l’époque gallo-romaine qui connaissait l’hypocauste, chauffage central de l’époque.
En quittant ce lieu historique, des ceps rappellent que, sur le versant ensoleillé, les moines de l’abbaye de Vaucelles ont cultivé de la vigne donnant le nom actuel du village.  


Poursuivant la Rue Haute et après quelques virages, j’aperçois à gauche, en contre-bas, l’imposante toiture rouge du bâtiment claustral de l’abbaye de Vaucelles.  Nichée au fond de la vallée où coule l’Escaut, entourée d’arbres et de verdure, elle mérite son nom initial de Vallis cellae, cellules de la vallée, donné en 1132 par Saint Bernard.  En la voyant perdue dans la nature, cette treizième fille de Clairvaux répondait tout à fait à la règle des fondations cisterciennes. Elle exigeait un lieu isolé pour le salut des moines et la proximité de l’eau pour son usage domestique et l’utilisation de sa force motrice.


Après avoir franchi les grilles d’entrée de l’abbaye, je gagne les jardins en longeant le bâtiment claustral du XIIe siècle et traverse l’endroit où se trouvait l’église. Celle-ci a été vendue comme bien national à la Révolution Française pour servir de carrière de pierre et disparait ainsi comme bon nombre de bâtiments de l’abbaye. Son emplacement a été redessiné suivant les travaux de fouilles menés en 1988. Le chevet, le déambulatoire et les transepts sont matérialisés au sol par des plantations de buis tandis que les bases de dix-huit colonnes donnent les dimensions de la nef. Cette église faisait 140 mètres de long, c’était la plus grande de cet ordre monastique, elle était comparable à la cathédrale de Chartres.


J’arrive ainsi dans le parc ouvert au public depuis 2005. Membre des jardins remarquables des Hauts-de-France, il s’inspire de la tradition médiévale et n’utilise aucun pesticide.  Je traverse le verger, m’arrête un instant devant le carré des plantes médicinales pour tenter de les identifier, ne pouvant m’empêcher de froisser la feuille duveteuse de la sauge pour sentir son parfum. Un peu à l’écart, un banc invite à s’asseoir : je déjeune tout en profitant du chant des oiseaux et me laisse baigner d’une divine quiétude. Je poursuis la visite du parc par le jardin de la Bible, le potager, en passant par l’enclos des fruits rouges où je chaparde une framboise appétissante.  
Revenue dans la salle d’accueil de l’abbaye, je visionne le film de présentation (de son origine à sa restauration, en passant par les ravages de la révolution et de la Première Guerre mondiale.) Une maquette restitue l’abbaye de Vaucelles au XVIe siècle. Un mur d’enceinte (7 km de long), renforcé d’échauguettes, assurait la protection. De ce vaste ensemble il ne reste malheureusement que le palais abbatial, où je suis, et le bâtiment claustral que je pars découvrir.


Réalisé en pierre calcaire, d’une longueur de 80 mètres sur 22 mètres de large, il se compose d’une succession de salles aboutissant au transept de l’église. La salle des moines ou scriptorium est remarquable par son vaste volume.  Par sa simplicité, le choix des matériaux, cette salle est d’une beauté saisissante.  Le parloir qui lui fait suite possède deux pierres tombales retrouvées lors des travaux de restauration. L’une du XVe siècle, présente Dom Jacques Le Merchier la tête tonsurée et revêtu de sa coule monastique, l’autre du XVIIe siècle, montre Dom Michel Dailliet tel un seigneur ecclésiastique. L’escalier permettait d’accéder au dortoir des moines. La salle capitulaire, de 1145, est un joyau architectural de l’art roman. De forme presque carrée, ses voûtes reposent sur quatre colonnes aux chapiteaux élégamment sculptés de feuilles d’arum. C’est dans cette salle que se retrouvaient quotidiennement l’abbé et l’ensemble de la communauté des moines, le Chapître. La dernière salle servait de sacristie et permettait d’entrer dans l’église par le passage sacré. 
En sortant, je retrouve la façade arrière du palais abbatial réalisé en 1759 par Dom Ruffin, avant-- dernier abbé de cette communauté. Il reste inachevé lorsque la Révolution éclate.


Passant par la boutique, j’achète une bouteille de bière de l’abbaye brassée dans la ferme attenante. Promis, je reviendrai visiter la brasserie à la prochaine journée portes ouvertes.