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Bienvenue pour cette promenade sonore « Cambrai baroque », imaginée par la Ville de Cambrai, labellisée “Ville d’art et d’histoire”. La balade nous plonge au cœur des 17e et 18e siècles. En introduction, revenons deux dates pivots qui marquent cette période.
En 1598, Cambrai est rattachée aux anciens Pays-Bas dits « espagnols », dirigés par les rois et reines d’Espagne. La cité accède à une période de paix et de prospérité que l’on peut qualifier d’âge d’or. Cependant, la guerre de Trente Ans puis les guerres de conquête de Louis XIV plongent la région dans des temps plus sombres, qui perdurent jusqu’à la victoire du Roi Soleil lors du siège et de la prise de Cambrai en 1677.
Une fois la ville rattachée définitivement au royaume de France, elle renoue progressivement, tout au long du 18e siècle, avec la paix et la prospérité.
C’est pendant cette époque, trouble et bouillonnante, que s’épanouit l’art baroque cambrésien, que l’on retrouve encore aujourd’hui dans la peinture, la sculpture et l’architecture religieuse.
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Le portail dont on parle se trouve à la sortie du square, à l’angle de la grande rue Fénelon et de la petite rue Vanderburch. Ces rues portent justement le nom de deux évêques des XVIIe et XVIIIe siècles ayant marqué la ville.
Notre balade commence ici, au cœur du square Fénelon. Le regard ne sait où se poser, entre le ballet des piétons, les voitures, les bus et les bâtiments hétéroclites qui nous entourent. Difficile d’imaginer un autre décor et pourtant ! Tentons un saut dans le temps. 1920... 1820... 1720… 1620 : notre récit commence ici !
Autour de nous, colonnes, murs, voûtes d’ogives dessinent une nef majestueuse. Nous sommes à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Grâce, qui s’élève depuis le XIIe siècle au centre du noyau historique de Cambrai. Achevée en 1472, on la surnomme « La Merveille des Pays-Bas ». La cathédrale de Cambrai est alors considérée comme un des chefs-d’œuvre de l’art gothique, avec sa flèche, dentelle de pierre qui culmine à 114 mètres du sol et domine toute la ville.
Retrouvons nos évêques tout-puissants du Cambrai du XVIIe siècle. A chaque nouvel évêque d’imprimer sa marque. Certains restent dans les cours princières loin de Cambrai, d’autres sont de grands missionnaires, de grands scientifiques, de grands érudits ou écrivains. Tous s’adaptent aux enjeux de leurs temps. François Van der Burch, lui, s’est surtout appliqué à embellir sa cité. A la tête de son diocèse dès 1615, il met en route de nombreux chantiers, en commençant par son palais, qu’il remet au goût du jour. Mais, le goût du jour, en 1620, c’est quoi ? Observons le portail, qui a traversé les siècles et est sorti indemne des tourments révolutionnaires et de deux guerres mondiales.
Autour des trois portes d’entrée du monument en forme d’arc de triomphe, imaginons s’activer le sculpteur Jaspar Marsy. Les archives ne sont pas bavardes sur les origines de ce « tailleur d’images », mais il laissera à la postérité de nombreuses œuvres. Dans les tympans de chaque arcade, Jaspar crée un décor abondant, d’où surgissent angelots joufflus, guirlandes, cornes d’abondance, coquilles, feuillages. Ce décor exploite admirablement les contrastes d’ombre et de lumière. De ces formes extravagantes viendrait d’ailleurs le mot « baroque », du portugais barroco, qui désignait à l'origine une perle de forme irrégulière.
Ainsi donc, ce portail est un des plus anciens vestiges d’art baroque à Cambrai. Continuons notre découverte de ce courant artistique en nous retournant vers l’église Saint-Géry.
MUSIQUE : Jean-Baptiste Lully - Marche pour la Cérémonie des Turcs
Si la grande porte est fermée, remontez la rue Saint Aubert : tiens, encore un nom d’évêque... Remontez donc la rue Saint Aubert vers la place du 9 octobre pour emprunter la porte latérale. Retrouvons-nous dans le chœur.
MUSIQUE : Georg Philipp Telemann - Sonata de Concerto en D majeur pour Trumpet et orchestre - Largo
Devant nous se dresse l’église Saint-Géry, ancienne abbatiale Saint-Aubert. De l’abbaye, il ne reste que l’église. L’ensemble des bâtiments conventuels ont tous été détruits à la Révolution française.
Portons notre attention sur le clocher. Sa base de pierre, jusqu’aux abat-sons, a été construite vers 1697, soit 70 ans après le portail du palais épiscopal. Pourtant, on n’y voit pas trace de décor foisonnant, pas trace de formes exubérantes, au contraire, la base de l’édifice est tout ce qu’il y a de plus classique. L’architecte a ici fait le choix d’une structure aux formes sobres s’inspirant des temples antiques.
En revanche, 30 ans plus tard, lorsque le nouvel abbé, Joseph Pouillaude, entreprend d’achever le clocher avec la construction de la flèche, il opte pour une toute autre orientation artistique. L’abbé décide de couronner la tour d’un dôme qui sera « tel une voûte céleste qui embrasse idéalement la terre ». Il fait aussi poser 20 pots à flammes sur la galerie et appliquer sur la flèche des centaines de feuilles d’or !
Vous commencez à l’apercevoir, l’art baroque n’est pas forcément question d’époque, de date. Il est avant tout un parti pris esthétique, un art du mouvement, de l’exubérance décorative, conçu pour charmer, pour surprendre, émouvoir, impressionner ! Voyons comment cela s'applique à l’intérieur de l’église.
Dirigeons-nous vers l’orgue sous lequel se trouve une tribune à l’histoire...tout à fait baroque !
L’intérieur de l’église est de nouveau un bel exemple de mélange entre deux conceptions de l’architecture au début du XVIIIe siècle. Classicisme et baroque s’y côtoient étroitement.
La nef, avec ses colonnes, ses corniches, et ses fenêtres qui se répètent selon un décor précis est typique d’une architecture classique inspirée des grands monuments royaux et catholiques de Versailles et de Paris.
En revanche, le chœur et le transept de l’abbatiale, reconstruits vers 1740, proposent des volumes plus éclatés et moins réguliers. On observe une conception quasi-théâtralisée de l’espace avec par exemple, à la croisée du transept, ce dôme posé sur quatre colonnes très élevées, conçu pour magnifier le maître autel.
Pernety, le savant alchimiste et théoricien de l’art, écrit en 1757 : le baroque est « Tout ce qui suit, non les normes des proportions, mais le caprice de l'artiste ».
Serait-ce à dire que nous serions en train d’observer, trois siècles plus tard, les caprices de nos abbés-créateurs?
Avant de sortir de l’église, ne manquons pas de nous arrêter devant La mise au tombeau de Rubens. Vous trouverez le tableau au-dessus de l’autel du bras nord du transept (côté gauche quand on regarde vers le chœur).
Derrière l’architecture, se trouvent souvent les femmes et les hommes qui l’inspirent. La tribune de l’orgue, ancien jubé, est une commande de Jérôme Milot, abbé de Saint-Aubert en 1628. Nous voici revenus au temps de l’archevêque Van der Burch, au temps d’un âge d’or baroque influencé par les Pays-Bas Espagnols.
L’abbé Milot réalise de nombreux travaux dans son abbaye, mais il n’en reste plus rien, à l’exception de ce jubé. A l’origine, il fermait le chœur des religieux et fut transféré sous le buffet d’orgue pour servir de tribune lors des travaux du milieu du XVIIIe siècle. Ce jubé, tout en marbre, polychrome, a été réalisé en 1635 par Jaspar Marsy. Rappelez-vous...l’entrée du palais de l’évêque, c’était déjà lui !
Comme pour le portail, on observe une profusion d’ornements : anges musiciens flottant dans l’espace, frises sculptées de guirlandes de fruits et de fleurs éclatantes d’opulence.
Six panneaux historiés racontent les miracles du Christ : ils sont sculptés de manière très expressive, telles des scénettes de théâtre miniatures. Et oui, n’oublions pas que le théâtre et l’opéra sont en plein essor au XVIIe siècle. Le mot spectacle vient d’ailleurs du latin spectare qui signifie regarder. On n’a en effet pas trop de deux yeux face aux œuvres baroques, que l’on peut tout à fait qualifier de spectaculaires !
MUSIQUE : Arcangelo Corelli - Sonata N°12 en D mineur "La Follia"
A présent, sortons de l’église pour rejoindre, par la place du 9 octobre, l’imposante maison de retraite « fondation Van der Burch ».
Pierre Paul Rubens est sans doute l’un des peintres les plus emblématiques de l’art baroque, et l’église Saint-Géry peut s’enorgueillir de posséder une toile monumentale du grand maître flamand !
Quel désordre ! Voilà sans doute ce qu’aurait dit un peintre du XVe siècle devant une toile de Rubens. Il faut avouer que l’œil est souvent égaré par la profusion de chairs, de drapés et de couleurs qu’offrent les toiles du peintre.
Au centre de la composition, le corps de Jésus, descendu de la croix après sa crucifixion, est soutenu par saint Jean (en rouge, à gauche). Il est déposé sur le linceul déployé par la Vierge, Nicodème et Joseph d'Arimathie. Marie, les yeux levés vers le ciel, désigne de sa main droite l'entrée du tombeau, une grotte que l'on devine en arrière-plan. Derrière, sur la gauche, deux femmes en pleurs. Au premier plan à droite se tient Marie-Madeleine portant un bassin et à l'arrière-plan, une femme apporte une aiguière contenant des parfums.
Pierre Paul Rubens a peint cette œuvre en 1616. Elle est contemporaine du jubé et du portail du palais épiscopal. Que ce soit en peinture, en sculpture, ou en architecture, la dimension théâtrale de l’art baroque n’est jamais oubliée. La couleur des chairs, le rendu des étoffes, la torsion des corps, l’expressivité des visages nous plongent au cœur du drame !
MUSIQUE : J.S. Bach - Air in the G String
Cheminons en musique pour rejoindre l’extérieur du musée des beaux-arts, rue de l’épée. Si le portail est ouvert, n’hésitez pas à entrer dans la cour.
MUSIQUE : Tomaso Albinoni - Adagio en G mineur
Nous évoquions précédemment Jaspar Marsy, le sculpteur, et François Vanderburch, l’évêque seigneur de la ville. Se joint à eux un troisième personnage, l’architecte Jean du Blocq. Religieux, membre de la Compagnie des Jésuites, il a travaillé dans de nombreuses villes de la région. La collaboration entre les trois hommes sera très fructueuse.
C’est Jean du Blocq qui a fait les plans de cette maison appelée aussi « maison sainte Agnès ». Elle a été financée et ouverte par Van der Burch en 1627, pour accueillir et éduquer des jeunes filles pauvres de Cambrai et du Cateau. Ils ont fait appel à Jaspar Marsy pour le décor sculpté.
Incendié en 1918, le bâtiment conserve uniquement son portail d’origine. Marsy et Du Blocq, experts dans l’art de donner vie à la pierre, ont édifié ce portail tout en mouvement et en contraste. Contraste entre la frise fleurie régulière, et le désordre végétal des écoinçons des arcades. Mouvement dans ces volutes qui entourent le blason de Vanderburch.
De part et d’autre de ce blason, le départ d’un fronton s’interrompt soudain et se transforme en volutes, rendant presque cette drôle de forme architecturale vivante, telle deux totems gardiens du souvenir de l’évêque bienfaiteur.
Souvenez-vous, nous évoquions au début de notre balade l’ancienne cathédrale de Cambrai, utilisée comme carrière à ciel ouvert après la Révolution française. Quelle aubaine, en ces temps de crises et de révoltes, d’acheter des pierres peu chères et déjà taillées !
Heureusement, de magnifiques sculptures baroques provenant de la cathédrale ont pu être sauvées de la destruction. Elles ont trouvé leur place au musée des beaux-arts. Allez donc y jeter un œil. Vous découvrirez un saint Sébastien tourmenté, une sainte Agnès en magnificence ou encore un ange de l'annonciation tournoyant... Pour cet art qui aime jouer la surprise, vous allez être enchanté !
A l’angle de la rue du Grand Séminaire et de la rue des Écoles, un imposant bâtiment en brique, avec encadrement de fenêtres en pierre attire le regard. Il s’agit de l’ancien collège des Jésuites de la ville.
Au second niveau du monument, côté rue du Grand Séminaire, une table en marbre noir commémore en latin la fondation du collège. Le décor sculpté qui l’entoure nous est maintenant bien familier : angelots et guirlandes fleuries tranchent avec la solennité de l’architecture chargée d’éduquer l’élite cambrésienne. Au dernier niveau du bâtiment, les fers d’ancrage conservent le souvenir précis des travaux. Entre chaque fenêtre, se dessinent les chiffres 1... 6... 1... 4.
1614... Le temps de Rubens, de Marsy, de Du Blocq, de Van der Burch... Avançons tranquillement le long de la rue et profitons de la première vue sur notre ultime chef d’œuvre baroque : la chapelle du collège des Jésuites.
La façade de la chapelle des Jésuites
Si nous pouvons aujourd’hui prendre du recul pour admirer la façade de l’ancienne chapelle des Jésuites, ce ne fut pas l’intention d’origine de l’architecte. Il faut imaginer, vers 1700, une toute petite placette juste suffisante pour le passage des voitures à chevaux. Et devant, un pâté de maisons qui rejoignait l’actuel office de tourisme. Une chapelle de cette taille ? L’effet de surprise, et l’impression de monumentalité, était total pour les croyants du XVIIe siècle !
Le premier plan conservé de la chapelle peut être daté entre 1615 et 1620. Il n’est pas signé. Est-ce Jean du Blocq qui en est l’auteur ? Profita-t-il de sa présence à Cambrai pour dresser hâtivement ce dessin à l’encre, sur un feuillet volant ? Quoi qu’il en soit, les guerres et crises qui traversent le siècle retardent la mise en route du chantier et la chapelle ne sera finalement réalisée que dans les années 1690.
Laissons notre regard détailler la façade pour y retrouver les décors baroques dont nous connaissons à présent les ambitions. Les lignes courbes, les quatre imposants pots-à-feu, les personnages, blasons ou monogrammes rayonnants sont autant d'artifices pour transformer la façade en décor spectaculaire exaltant la foi catholique.
MUSIQUE : Johann Pachelbel - Canon en D
Les Jésuites jouent un rôle de premier ordre dans la propagation de l’art baroque qui devient un art avant tout religieux, qui s’adresse à la sensibilité du spectateur plutôt qu’à sa raison.
L’ordre des Jésuites, né en réaction à la Réforme protestante du XVIe siècle, s’emploie à promouvoir la religion catholique par la prédication et l’enseignement.
A l’intérieur de la chapelle, architecture, peinture, sculpture se complètent pour présenter la liturgie catholique de la manière la plus vivante possible.
Le livret Focus sur la chapelle des Jésuites, disponible à l’office de tourisme, complétera votre découverte du décor intérieur de la chapelle, ouverte chaque après-midi en période estivale.
Pour poursuivre la découverte:
Après nous être imprégné d’art baroque dans la ville d’aujourd’hui, nous vous invitons à poursuivre, si vous le souhaitez, votre promenade en visitant le CambraiScope, Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine de la ville. L’entrée y est toute l’année libre et gratuite. Un exceptionnel plan relief y représente Cambrai en 1700 sur lequel vous pourrez retrouver la cathédrale Notre-Dame et le palais épiscopal, l’abbaye de Saint-Aubert ou la maison Sainte-Agnès dans leur contexte de l’époque.
Si cette balade sonore a éveillé votre curiosité, vous pourrez en apprendre plus sur Cambrai en écoutant les autres balades proposées par le service ville d’art et d’histoire de la ville de Cambrai.
MUSIQUE : J.S. Bach - Suite N°2 en B mineur - Badinerie
Cette balade a été écrite par le service ville d’art et d’histoire de Cambrai, adaptée et mise en voix par Sandrine Gniady avec Daniel Perez à la technique.